A découvrir en section jeunesse, dès 9 ans
La boîte magique d’Houdini / Brian Selznick ; trad, de l’anglais (Etats-Unis) par Agnès Piganiol – Bayard Jeunesse, 2016
Les magiciens ont toujours fasciné les enfants. Après les avoir fait rêver en les plongeant dans le monde fascinant des automates et du cinéma (L’invention d’Hugo Cabret, 2008), Brian Selznick (1966) les emmène cette fois dans l’univers merveilleux de la magie et de l’escapologie. Chronologiquement, ce roman graphique est le premier de l’auteur, publié aux Etats-Unis en 1991. S’inspirant de souvenirs d’enfance, l’auteur met en scène un petit garçon qui n’aura de cesse de connaître les secrets du plus grand magicien de tous les temps.
Le livre se divise harmonieusement en deux parties : d’une part, l’histoire du jeune Victor, apprenti magicien et de sa rencontre avec son modèle ; d’autre part, un dossier passionnant et très documenté sur la genèse de l’oeuvre et la biographie de Harry Houdini (1874-1926) avec, en bonus, quelques tours de prestidigitation faciles à réaliser.
Les enfants ne pourront être que séduits par ce mélange de fiction et de réalité et s’identifieront facilement au jeune héros au caractère tenace et persévérant. Ils seront sans doute tentés de se lancer à leur tour sur la piste de la fameuse boîte qui, à ce jour, reste toujours introuvable.
Brian Selznick manie la plume et le crayon avec la même dextérité et offre à ses jeunes lecteurs un court roman captivant et facile à lire, à la mise en page aérée, à la traduction fluide et aux illustrations quelque peu énigmatiques. Texte et images se combinent parfaitement pour distiller les émotions. Il y a de l’humour, du suspense, du chagrin, de la mélancolie aussi.
Un livre optimiste, qui s’ouvre et se referme avec le rideau rouge d’un théâtre et la présence souriante d’un lapin tout juste sorti du chapeau du magicien. De quoi rappeler que, si la vie peut être un spectacle, il est important avant tout de vivre ses passions et de croire en ses rêves d’enfance.
Catherine Hennebert
Chambre avec vue / Raphaële Frier – Thierry Magnier, 2015 (Petite poche)
Le boulevard de Strasbourg existe à Marseille, il longe l’autoroute A7, bordé de grands immeubles. Raphaële Frier enseigne dans cette ville. On peut donc imaginer que le contact avec ses élèves lui ait inspiré ce récit. De son enfance près de Bordeaux, elle garde le goût salé de l’océan[1]. Quel est le quotidien des familles dont l’habitation donne sur l’autoroute ? Quel décalage lorsqu’on a été bercé par le bruit des vagues, une réalité tellement plus romantique ! De cette question, Raphaëlle Frier tire un récit résolument optimiste, envisageant avec sincérité la grande capacité d’adaptation de l’enfance. Elle pointe une des forces de la jeunesse : le pouvoir de l’imagination, capable de transformer un climat oppressant en une fenêtre ouverte sur le monde. Le passage incessant des véhicules sur l’autoroute du soleil devient une fuite vers la mer et ses grands espaces, vers un ensemble de possibles. Un événement, le blocage de l’autoroute, permet enfin aux habitants de reprendre le contrôle d’une situation jusqu’alors subie. Le lecteur participe à la joie et au sentiment de liberté des jeunes héros. L’écriture est une forme de poésie urbaine qui se prête volontiers à l’oralité, on l’imagine même slamée. Un texte court et dynamique qu’on termine rempli d’énergie positive !
Vanessa Léva
[1] Editions Thierry Magnier, http://www.editions-thierry-magnier.com/9782364747326-l-raphaa-le-frier-chambre-avec-vue.htm, 25/01/2017
La fenêtre de Kenny / Maurice Sendak ; trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise morvan – Nantes : MeMo, 2016
Les éditions Memo ont été désignées par la fondation Sendak pour nous offrir le premier voyage onirique de l’auteur, publié en 1956. Onze titres inédits en français suivront. Si « Max et les Maximonstres » connaît une reconnaissance internationale depuis la fin des années soixante, le public francophone ne disposait pas encore de traduction de « La fenêtre de Kenny ». Françoise Morvan, traductrice, autrice et éditrice renommée a trouvé le ton juste. L’album a résisté au temps et embarque les lecteurs de tous âges dans une échappée aussi hypnotisante qu’essentielle. Maurice Sendak était un enfant fragile, souvent malade, qui sortait peu. On l’imagine donc aisément à la place de Kenny : observant le monde à travers la fenêtre de sa chambre. Entre rêves et réalité, il nous rappelle la puissance de l’imagination enfantine. « La fenêtre voit dedans et voit dehors » : l’exploration de l’intime permet d’appréhender les questions universelles relatives à l’existence. Le texte offre une abondance de niveaux de lecture. De l’aventure initiatique ou du conte philosophique, on peut ne garder que l’étrange périple fantasmagorique : s’imprégner des atmosphères angoissantes ou réjouissantes, de l’absurde et de limites repoussées. Chacun y retrouvera l’instant trouble qui suit l’éveil, qu’on prend parfois du bonheur à prolonger, quand la puissance du rêve emplit encore la pièce et l’esprit. La colère, l’amour et l’abandon, la solitude et la liberté sont donnés à méditer à travers des questions insolites. Les réponses données par Kenny sont des fenêtres ouvertes vers de nouveaux questionnements. Les illustrations très lisibles sont imprégnées du mystère et de la lenteur du récit. En peu de traits, Maurice Sendak dessine le visage de Kenny dans lequel on peut lire une multitude de sentiments ambivalents : rêverie, ennui, nostalgie, rage ou quiétude.
Vanessa Léva
Kurt et le poisson / Erlend Loe ; trad. du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud ; ill. de Kim Hiorthoy – La joie de Lire, 2015 (Hibouk)
Erlend Loe a grandi avec les mythologies fabuleuses des peuples du Nord. Les explorateurs vikings, qui auraient découvert le continent américain bien avant Colomb, ont nourri son imagination. Si l’absurde tour du monde de Kurt et de sa famille est un spectacle, à la candeur assumée, de stéréotypes et clichés, il offre une plongée dans la culture scandinave. Erlend Loe est à l’origine d’un mouvement littéraire : le naïvisme, qui porte un regard enfantin sur l’existence. Les illustrations de Kim Hiorthoy, ami et complice de l’auteur, participent grandement à la réussite de la série. Elles en accentuent l’humour et donnent une identité forte aux personnages peu décrits physiquement par le texte. La série Kurt a intégré le patrimoine culturel norvégien. « Kurt et le poisson » en est le premier tome, il est aussi le plus accessible pour les jeunes lecteurs francophones. Kurt est un adulte au comportement puéril dont le jouet principal, quasi personnage à part entière, est l’outil de travail : un Fenwick. Epicurien, il est guidé par ses humeurs et ses envies. Sa famille, une pétillante tribu hors norme dans laquelle chacun à son mot à dire, l’accompagne dans ses aventures. Les différences entre enfants et adultes sont pratiquement effacées, ce qui conduit à des situations burlesques. L’humour omniprésent est, sous couvert de naïveté, parfois moqueur ou acerbe. Le texte, joyeux et léger, peut donc mener à une seconde lecture plus réfléchie et plus sombre. L’inventivité de l’histoire est une bouffée d’air frais, le nonsense amène fantaisie et liberté. Jean-Baptiste Coursaud a traduit toute l’œuvre de Erlend Loe qui écrit également pour les adultes. Il le qualifie de « poète de l’absurde » et relève le défi de rendre perceptibles en français les différents registres de langue utilisés par l’auteur. Ce roman drôle et stimulant ne découragera pas les lecteurs plus faibles grâce à son texte court et illustré. Cependant, une lecture accompagnée par un adulte, donnant accès à d’autres niveaux de lecture, peut être une richesse supplémentaire.
Vanessa Léva
Maarron / Hakon Ovreas ; ill. par Oyvind Torseter ; trad. du norvégien par Aude Pasquier – Genève, La joie de lire, 2015 (Hibouk)
La collection Hibouk de La Joie de Lire s’est bâtie sur une identité forte, autant graphique que littéraire. Une grande attention est portée à la mise en page. Il s’agit régulièrement de traductions soignées d’auteurs norvégiens, allemands, espagnols ou italiens, primés dans leur pays d’origine. L’illustrateur, Øyvind Torseter, jouit d’une reconnaissance internationale (Gravenstein, Socrate et son papa, le trou, Ina et Aslak…). La finesse de son trait donne une image tendre et drôle des personnages. La couleur vient relever certains détails ou illuminer une scène. Jamais inutile, elle entre en résonance avec l’histoire. « Maarron » est le premier roman pour enfants de Håkon Øvreås. Auteur de plusieurs recueils de poésie, il signe un texte aussi touchant et sensible que dynamique. Une véritable aventure lors de laquelle on s’interroge sur les limites de la vengeance mais aussi sur les ressources dont chacun dispose pour faire face à l’adversité. Les obstacles sont surmontés par l’imagination et la solidarité. Entre trois enfants se tisse une complicité quasi muette mais empreinte d’humour, de respect et de fantaisie. Le deuil est traité sans pathos sous l’aspect de la transmission et de la puissance du souvenir. Les sentiments du jeune garçon et de ses parents sont sobrement décrits, avec justesse et intelligence. Un peu de mystère et de magie laissent les questions et les réflexions ouvertes à l’appréciation de chacun. Pour ne pas bouder le plaisir des enfants, il est aussi question de super héros et de méchants vraiment pas sympas. Un roman un brin mélancolique, à l’humour doux-amer, qu’on quitte apaisé et optimiste.
Vanessa Léva
Meslama la sorcière / Jennifer Dalrymple & Julia Wautier – Cambourakis, 2015
Les saisons, la magie et les émotions sont au cœur de cette histoire à quatre personnages, qui se déroule dans un décor forestier, sous l’œil protecteur d’un vieux sanglier. Grâce à la sagesse bienveillante et discrète de sa grand-mère et à sa propre transformation, Meslama l’enfant des bois viendra à bout de ses démons et prendra discrètement sa revanche sur l’arrogant seigneur du château.
Jennifer Dalrymple (1966), autrice prolifique et écologiste convaincue, décrit à merveille l’atmosphère hivernale et les secrets de la forêt. Elle rend compte avec finesse des bouleversements intérieurs de son héroïne qui passe par tous les stades de la colère avant de trouver l’apaisement et de découvrir l’amitié. Le format, le papier de qualité, la division en chapitres, la langue recherchée et la richesse du vocabulaire, la narration rythmée, l’atmosphère mystérieuse et un peu effrayante, séduiront à coups sûr les enfants. Il en va de même pour les thèmes abordés: la colère et ses effets dévastateurs, le pouvoir, l’injustice et le désir de vengeance, le pardon et la transmission.
Julia Wautier (1982) s’est parfaitement glissée dans cet univers où la magie se fait tour à tour maléfique ou protectrice. Privilégiant la technique de la sérigraphie, elle opte pour une palette de couleurs sombres où le rouge domine. Elle donne de l’ampleur au récit, joue avec les tonalités et la taille des personnages, illustrant subtilement le passage du chaos et de la sauvagerie vers le calme et la guérison finale.
Un conte d’avertissement aux allures intemporelles, qui renvoie au quotidien des enfants mais qui entre aussi en résonance avec l’actualité mondiale. N’oublions pas les sages paroles de la grand-mère : « Ne plante pas une graine dont la pousse est venimeuse (…) Rien de bon, RIEN DE BON ne peut germer de la haine. »
Catherine Hennebert
Sorcière blanche / Carl Norac & Ghislaine Herbéra – A pas de loup, 2016
Quel beau duo créatif pour ce récit nordique à portée symbolique ! Dès la couverture et les pages de garde,le lecteur est entraîné dans une double aventure (physique et intérieure) au coeur de la civilisation et des croyances Inuits. Dans sa dédicace, Carl Norac rend hommage au sculpeur contemporain Inuit Barnabus Arnasungaaq, son « maître à rêver », et à son illustratrice « artiste chamane », tandis que Ghislaine Herbéra dédie l’album à « tous ceux qui parlent en silence. » Amoureux des arts dits premiers, les deux artistes conjuguent leurs talents pour offrir aux enfants une oeuvre profonde et envoûtante, empreinte de spiritualité, de magie, de mystère et d’un brin de malice.
L’histoire est riche en péripéties. Bravant les moqueries, le froid glacial et l’immensité blanche de la banquise, Anuun le garçon-au-sourire fera preuve de courage et d’astuce, utilisant toutes ses ressources (formules magiques et métamorphoses incluses) pour contrer la sorcière blanche en mal d’enfant, et ramener la petite Smilla (corps et âme) à son père. Le texte musical et poétique est ciselé, les phrases sont courtes, rythmées par les répétitions et les noms aux consonnances étranges. L’auteur excelle à rendre perceptibles le lent écoulement du temps, le froid extrême du dehors, la force de la nature, la présence du surnaturel ainsi que l’évolution des sentiments qui traversent les protagonistes. On s’étonne, on frémit, on s’émerveille, on s’émeut, on sourit aussi tout au long de cette histoire en boucle. Utilisant la technique mixte (peinture et collage), Ghislaine Herbéra donne une remarquable interprétation du texte en se glissant de manière experte dans l’esprit d’un artiste Inuit. Alternant petites vignettes en noir et blanc et grandes peintures en couleurs, ses images sont directement inspirées de l’art des peuples de l’Arctique (sculptures, masques, tapisseries, danses). Ses personnages aux expressions marquées semblent posés de manière un peu théâtrale dans des décors dépouillés où le blanc-gris-rose de la glace côtoie le rouge et vert des aurores boréales. Il est à noter que, avant de se consacrer à la littérature de jeunesse (Monsieur Cent têtes, MeMo, 2010), Ghislaine Herbéra a longtemps collaboré avec des compagnies théâtrales en réalisant scénographies, costumes, masques et marionnettes.
Un conte du Grand Nord où il est question de sorcellerie et de différence mais surtout d’amour et de tendresse. Une nouvelle perle à ajouter au catalogue de la jeune maison d’édition bruxelloise, A pas de loup.
Catherine Hennebert
Sous la montagne / Anne Herbauts – Catserman, 2015
Il y a deux ans, Anne Herbauts était l’une des invitées du pôle littérature de Mons 2015 (aux côtés de Carl Norac et Kitty Crowther). Pour cet album, elle s’est librement inspirée de la ville et de ses terrils. Les montagnes de charbon se sont transformées en volcans et l’histoire s’est construite autour de ce paysage minier. Le propos ? Un hiver rigoureux, une épicerie bazar accueillante, une escabelle magique capable de fournir nourriture en quantité et chaleur à volonté, quelques esprits envieux, un chat débonnaire et philosophe.
A la fois légende poétique et récit malicieux, « Sous la montagne » propose aux enfants une histoire étrange, intemporelle et universelle qui parle de générosité, de partage et d’un secret bien gardé. L’écriture est magnifique, la langue riche et inventive, les mots sont subtilement choisis, (voir les noms des personnages issus de différentes variétés de pommes, poires et autres salades ou encore, le chat Casse-noix affublé d’un nom d’oiseau). Une fois de plus, Anne Herbauts s’amuse avec le lecteur en jouant avec les sens, les mots, les cadrages, les images. Hormis les pages montrant la noirceur sanglante de la guerre, les illustrations mêlant crayon, peinture et collages, sont surtout empreintes de douceur. La palette chromatique est tout en contrastes : tons bleu-gris-blanc pour l’extérieur, couleurs chaudes et lumineuses pour les scènes intérieures. La fin en pied de nez et la morale espiègle (aviez-vous repéré l’éléphant sur l’étagère de la quincaillerie?) incitent à ouvrir à nouveau le livre pour s’ assurer d’en avoir bien saisi l’essentiel. Mais est-ce vraiment cela le plus important ? Car, de l’hiver glacial au printemps fleuri, de la guerre éclatée à la paix retrouvée, d’une escabelle à l’autre, tout n’est finalement qu’une question de point de vue.
Catherine Hennebert
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